Par Martin FOURNIER, collaboration spéciale –
Ce vendredi 24 février au Centre Vidéotron de Québec, Eleider Alvarez, champion Argent du WBC chez les mi-lourds défendra sa position d’aspirant obligatoire à la couronne mondiale WBC détenue par Adonis Stevenson, en affrontant l’ancien champion du monde IBF des super-moyens, Lucian Bute. À quoi faut-il s’attendre pour ce duel entre ces deux boxeurs de chez nous? Analysons-le selon les critères habituels : offensive, défensive, vitesse, expérience, entraîneurs et facteurs intangibles.
Offensive et puissance : Eleider Alvarez, 32 ans, est invaincu en carrière et compte 21 victoires en autant de combats, incluant 10 gains par KO. Pour l’ensemble des rounds disputés, son pourcentage de KO est de 48%. Sa plus récente victoire par TKO remonte au 12 juin 2015, elle a été acquise à Chicago aux dépens d’Anatoliy Dudchenko. Ses deux dernières victoires, en 2016, l’ont été aux dépens des gauchers Norbert Dabrowski et Robert Berridge. Bien qu’elles n’aient pas été des plus spectaculaires, elles constituent une bonne préparation pour un affrontement contre Lucian Bute, qui est aussi un gaucher. Ce facteur, duel gaucher-droitier, pourrait malgré tout compliquer les choses pour Alvarez. Au niveau de ses habiletés pugilistiques, Alvarez possède un excellent jab qui est précis et rapide, qui est une de ses forces, ainsi qu’une bonne main arrière, un bon crochet très efficace au corps et un bon uppercut. Il n’a toutefois pas la puissance pour ébranler un adversaire d’un seul coup. Alvarez est bon en contre-attaque et en combinaison. Comme son adversaire, il devra s’imposer en mettant de la pression dès le début pour imposer son rythme et sa force afin de le faire reculer. Il a aussi l’avantage de la portée, soit 75 pouces et demie contre 72 pour Bute.
Lucian Bute, qui aura 37 ans le 28 février, a obtenu 25 de ses 32 victoires en carrière par KO, pour un pourcentage de 69%. Sa dernière victoire par TKO remonte à août 2015 contre l’italien Andrea Di Luisa, un TKO au 4e round. Toutefois, Bute a évolué pour la majeure partie de sa carrière chez les super-moyens et le duel contre Alvarez aura lieu chez les mi-lourds, ce qui est un facteur qu’on ne peut passer sous silence. Par conséquent, l’avantage habituellement lié à la puissance de Bute sera moins déterminant puisqu’Alvarez est un gros mi-lourd. Bute excelle toutefois en contre-attaque et en combinaison. Il possède un jab rapide et un uppercut très efficace, notamment lorsqu’il est lancé au corps. Il devra nécessairement lancer son jab à profusion pour contrer celui d’Alvarez, en plus de mettre de la pression afin de faire reculer le colombien d’origine.
Si Lucian Bute veut espérer l’emporter, il devra commencer son combat en force comme il l’a fait lors de son duel contre Badou Jack, en avril 2016. Rappelons que le roumain d’origine a eu tendance, tout au long de sa carrière, à prendre les premiers rounds de ses combats pour analyser ses adversaires. Lors de son duel face à James De Gale en novembre 2015, il aurait augmenté ses chances de remporter cet affrontement s’il s’était porté à l’attaque dès le début du combat. Il sera donc intéressant de voir comment Bute, après dix mois d’inactivité, va réagir cette fois. En général, il termine ses affrontements en force, les deux derniers combats le démontrent bien. De facto, j’offre donc un léger avantage à Bute en offensive et en puissance, mais gardons à l’esprit qu’il se battra chez les mi-lourds contre un mi-lourd naturel.
Défensive : Elle me paraît sensiblement comparable. Eleider Alvarez possède une bonne défensive, il se protège bien et garde ses mains hautes pour se protéger contre les contre-attaque de ses adversaires et Bute est un excellent contre-attaquant. Il devra bien bloquer le jab de Bute. Au niveau de sa capacité à encaisser, elle ne me paraît pas problématique en soi, bien qu’il ait été quelque peu ébranlé par l’argentin Isidro Prieto, un dur cogneur, en août 2015. Lucian Bute protège bien son menton avec son épaule, il esquive et bouge bien la tête. Il devra être continuellement en mouvement s’il veut déstabiliser Alvarez. Concernant sa capacité à encaisser, mise à part sa dure défaite contre Carl Froch par TKO en mai 2012 au 5e round, il possède sensiblement un bon menton. De même, je ne crois pas qu’Alvarez possède une force de frappe suffisante pour ébranler le roumain, bien qu’il sera plus gros que Bute le soir du combat.
Vitesse : Bute me paraît avantagé car il sera moins lourd sur le ring qu’Alvarez, soit environ 182 contre environ 191 livres pour Alvarez, un mi-lourd naturel. De plus, Lucian est très mobile, se déplace bien sur un ring, possède un bon jeu de pieds et varie bien ses déplacements. Alvarez est moins mobile et plus statique que Bute. Il est plus prévisible dans ses déplacements.
Expérience : Lucian Bute est largement avantagé avec ses 13 combats de championnats du monde, dont neuf défenses de titres au cours de son règne de champion du monde entre 2007 et 2012. Il a vécu les innombrables préparations et la gestion du stress associés à des combats importants, ce qui constitue une expérience non négligeable à mon avis. Ce vendredi, il disputera son 37e combat en carrière contre 22 pour Alvarez. De plus, ses deux derniers combats en championnat du monde contre James De Gale et Badou Jack ont été surprenants et concluants. À noter que depuis qu’il est entraîné par les frères Grant depuis 2015, Bute a bien performé dans ses trois derniers combats. Pour Alvarez, bien qu’il ait eu une très bonne carrière chez les amateurs notamment en récoltant une médaille d’or aux jeux panaméricains en 2007 chez les mi-lourds et une participation aux jeux olympiques de Pékin en 2008, il ne s’est pas battu en championnat du monde comme son adversaire.
Entraîneurs : Marc Ramsay, l’entraîneur d’Eleider Alvarez, n’a plus besoin de présentation. Au cours de sa carrière il a été associé notamment à Jean Pascal, ancien champion du monde WBC de 2009 à 2011 et œuvre depuis 2011 auprès de David Lemieux, qui a été champion du monde IBF chez les moyens en 2015. Il est aussi l’entraineur d’Artur Beterbiev, l’une des plus belles sensations chez les mi-lourds actuellement. Bien que la feuille de route d’Howard Grant soit moins impressionnante que celle de Ramsay, depuis que Grant est l’entraîneur de Bute, j’aime beaucoup l’évolution et la progression du roumain âgé de 36 ans. Sensiblement comparable chez les entraîneurs en vue de cet affrontement.
Facteurs intangibles : avantage Eleider Alvarez. Depuis sa victoire à Monaco en octobre 2014 contre Ryno Liebenberg, où Alvarez a disputé l’un de ses plus beaux combats en carrière et dont le résultat lui a valu pour une première fois le statut d’aspirant obligatoire à la couronne de Stevenson, il va sans dire que l’attente a été très longue. Il faut dire que le parcours du colombien d’origine vers un combat de championnat du monde a également été ralentit par les blessures. Il est clair qu’Alvarez veut prouver à la face du monde de la boxe internationale qu’il a la carrure pour devenir champion du monde. Sa décision de mettre en jeu son titre d’aspirant obligatoire contre Lucian Bute en est une belle démonstration, compte tenu qu’il a beaucoup à perdre lors de ce combat. Ça sera au final la troisième fois qu’il combattra pour le titre d’aspirant obligatoire à la couronne d’Adonis Stevenson depuis 2014. Il voudra prendre tous les moyens pour conserver cette position. D’autant qu’il s’agit de sa chance la plus significative d’aspirer aux grands honneurs. Une défaite pourrait miner la suite de sa la carrière, alors que l’impact ne serait pas le même dans le cas de Lucian Bute, qui a déjà été champion et qui a eu l’occasion de récolter des bourses significatives au cours de sa carrière. Le roumain d’origine aurait sans doute de nouveau l’occasion de prendre part à des duels d’intérêt chez les super-moyens. Compte tenu du fait qu’Alvarez a beaucoup à perdre avec ce combat, sa motivation sera certainement très élevée. En contrepartie, Lucian Bute sera certainement motivé par le fait de vouloir passer à autre chose à la suite de son verdict nul récolté à son dernier combat contre Badou Jack, et de toute la controverse qui s’en est suivie. Sans compter le fait qu’il voudra certainement faire mentir Alvarez qui a déclaré sa volonté de vouloir mettre fin à sa carrière.
On ne peut passer sous silence que le dernier combat de Bute disputé chez les mi-lourds, contre Jean Pascal en janvier 2014, n’a pas été concluant alors qu’il a subi une cuisante défaite. Cependant, les circonstances ont complètement changé et de façon positive pour le roumain. Si Lucian Bute boxe comme il l’a fait lors de ses deux derniers duels face à deux champions du monde, il sera en bonne position pour vaincre Eleider Alvarez. Il pourrait y parvenir compte tenu que la chimie qui s’est installée entre les frères Grant et lui a notablement changé sa manière d’aborder ses combats.
En conclusion, je m’attends à un combat très serré et disputé de manière technique, ce qui pourrait mener à un verdict par décision partagée des juges. Je ne serais d’ailleurs pas surpris que Lucian Bute soit impliqué pour une deuxième fois consécutive dans un combat nul, après avoir récolté un verdict nul contre Badou Jack en avril dernier. Toutefois, après analyse des cinq critères, je favorise Lucian Bute face à Eleider Alvarez en raison de sa vitesse et de son expérience. Cependant, il ne faut pas négliger les facteurs intangibles qui favorisent nettement Alvarez, pour qui ce combat représente la chance d’une vie et d’une carrière. Considérant la valeur de cette motivation, je ne serais pas surpris davantage surpris par une victoire du colombien.